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            « Un hiver malade. Il fait chaud à contretemps. Puis quand on croit que le froid va sévir, c’est le vent qui amène la pluie. Aussi miteuse et malade que l’hiver. On n’a jamais vu un mois de janvier si mou, ni tourner ainsi à la boue. Or février suit le même chemin. Cette maladie dure jusqu’en juin, avec des hauts, des bas, des petits gels criards, des petits soleils vantards, des petites pluies bâtardes… Et d’un seul coup, paf ! c’est l’été, la chaleur écrasante, la torride et tropicale. Déboussolé, on se jette dans le travail faute de savoir quoi faire de mieux. Pour une fois, ceux qui ensilent se frottent les mains. Et quand juillet rapplique tout mouillé de chaud, avec sa lampe à souder, à suer, à bronzer, ceux qui attaquent les foins se demandent s’ils ne vont pas cuire à l’étouffée dans la cabine du tracteur. Huit jours plus tard, deux orages craquent coup sur coup, pas piqués des vers. S’ils sont brefs ils sont noirs, et la pissée qu’ils lâchent noie sans bavure des foins secs à point, prêts à rentrer : un plaisir, merci mon Dieu ! Mais le paysan a beau avoir bon dos, avoir l’habitude de le faire rond sous les coups du sort, cette fois il jure, putain ! Car ça gicle, ça rouspète, ça pète le feu, ça renvoie les balles, ça smashe du bordel de nom de Dieu, du charogne tant et plus, foutant des torgnoles aux derniers nuages à la traîne qui se carapatent en vitesse. Coup de baguette magique : trois secondes après le soleil tire à boulets rouges, écrase et brase les paysans qui croustillent sur l’éteule comme des poissons rouges dans une poêle à frire. On écarte les andains, on retourne ce foin qui a la couleur et l’odeur de la pisse. Et on re-fauche du pré tant l’astre en fusion promet de l’or en barre. Puis on court au foin puant qu’on presse malgré tout, qu’on charge, qu’on rentre. Pour aussitôt courir tâter le nouveau qui a besoin de sécher encore. Et crac ! l’orage éclate dans la nuit, violent. Un sacré barouf de nom de Zeus qui ne réveille même pas les manants harassés, écrasés dans leur pieu. De sorte qu’en sortant d’un sommeil qui n’a rien réparé, ils ne peuvent que ricaner en constatant les dégâts des eaux provoqués par le feu du ciel… Révolté à force de résignation, on arrive ainsi, un fléau poussant l’autre, à la Toussaint. Pour se dire, l’œil féroce, qu’après l’hiver malade, après l’été et ses moussons, l’automne ne vaut pas mieux puisqu’il fait un temps de printemps. Alors, pour une fois réunis comme un seul homme, tous les chefs d’exploitation, agriculteurs, cultivateurs, ouvriers agricoles et paysans, haussent les épaules, se tournent, crachent, pissent et jurent que cette fois c’est terminé de croire aux miracles, aux mirages, aux mirobolantes promesses, que ce soit celles de Dieu, de la météo, des hommes, des femmes, des enfants, des chiens ou des perroquets, puisque l’avenir n’est qu’un tissu de vicissitudes ad vitam…

              Et 78 ne s’annonce vraiment pas comme un millésime à conserver pieusement dans les chais de la mémoire. Or ce qui est vrai pour tout le monde l’est également pour les Vauchard. Une vache accidentée, fiévreuse, refusée à l’abattoir, part à l’équarrissage. Une autre, à son deuxième veau, subit une césarienne suivie d’une septicémie qui la couche raide et sans bavure sur sa litière. On encaisse, quatre planches et le trou… D’autres, par contre, virtuoses du  tiroir-caisse, font régner la loi de leur milieu par la terreur financière : la hausse, la sainte hausse : e.d.f., m.s.a., véto, assurances, gas-oil, ficelles, semences, scories…, tous vases de fer qui ne communiquent avec les vases de terre que pour les vider de leur substance. Ce qui entraîne forcément des conséquences, attendues comme le Messie, ou imprévues comme le destin. »

 

© Guy Brémond, in Jeanne-Marie Vauchard, paysanne.

 

 

 




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