« Il remonte la rue, étrécie comme un fil par tous les marchands de charcuterie, de miel, de pain de seigle, de pain d’épices… Il se faufile et arrive devant la face d’une église très vieille et très ramassée sur une petite place faite d’un bistrot, d’un boulanger et d’un tabac-presse avec tourniquets de cartes postales. Il évite l’huile bouillante que le soleil verse à pleins seaux, cherche l’ombre, rase les murs qui le mènent sur l’aire d’une autre place, minuscule celle-ci, où nul autre passant que lui ne passe, où rien ne se passe sinon le bruit suffoqué d’une radio. À gauche, des escaliers descendent dans une venelle qui se perd dans la mélancolie, à droite un fleuriste inonde le trottoir. Puis la rue se tord, lascive, se déhanche, et avance d’une démarche languissante. Une voiture passe, lentement, une autre, dont les pneus lèchent le goudron en laissant sur la rue un dessin de bas résille. Tout près mais invisible, un chien gueule, méthodiquement, sans forcer, sans cesser. Les maisons s’espacent, se font individuelles avec des jardins à fleurs. La rue devient route ; quelques arbres privés d’ombre s’épuisent, encore debout. La chaleur est ici franchement obèse. »
© Guy Brémond, in Chronique d’un lieu-dit.