« Seul. Sans mère, sans femme, sans ami, sans amour… “Que moi… Comment je vais faire ?”
Il ne bouge toujours pas. Ne regarde rien mais voit tout. Ce qui l’étonne, parce qu’il voit les choses qui sont dehors presque trop nettement : les murs en face, entre autres ceux qui sont tachés de pubs entre les tuyaux de pvc et les fils du téléphone, les câbles, les portes… Il voit les pavés, les voitures garées, celles qui passent en chuintant, le chien qui file comme un trait, le couple bras dessus avec son parapluie, les gamins en survêt’ et casquette u.s., le restaurant immobile… Il voit cette vie en éprouvant une certitude simple, en pensant que le présent a tout son temps, quel que soit le temps, qu’il bruine ou qu’il pleuve, qu’il fasse froid ou… “Comment je vais faire ?”
Il se voit avec ces choses, avec ces murs, ce chien, ce couple, ce restaurant, cette bruine, cette certitude. Tout un monde à la portée de tous, de lui, de sa main. Aujourd’hui, maintenant, à l’instant. Ce monde extérieur, de l’autre côté du pare-brise, de l’autre côté de la chair de poule, de sa peur d’être seul, lui qui sait, qui est sûr, qui est fatigué, qui est arrivé, qui est assis ici, qui se repose, qui pose une main sur sa cuisse, qui la pose sur le bord du siège, une main qui sent le doux pelucheux du siège, qui le caresse, qui va, qui caresse ce relief doux comme une toison d’agneau, qui caresse, qui va et vient… Lui qui voit les pavés, les voitures, qui voit celle qui est garée devant, opulente et aubergine, lui qui ne sait pas comment il va faire, qui tient encore son volant, qui le lâche, qui baisse sa main jusqu’au sac en plastique, qui le fouille, le fouille, qui en retire ce qu’il vient d’acheter, qui caresse le relief sans autre motif que la consolation, la tendresse, qui lève très vite le menton en levant l’autre main à sa gorge qu’il ouvre sans hésiter… »
© Guy Brémond, in Méprise.