« […] Car comment ne verrais-je pas ton regard de vérité venir se poser sur ma bouche, rouge du bonheur que tu me fais ? Une jubilation si brusquement ardente, une ardeur si impétueusement fervente que le fard de mes lèvres fond, les laissant nues sous la crudité des tiennes. Un regard qu’en dépit de ta célérité à le reprendre j’ai le temps, avec le savoir-dire et faire de ma langue, de graver jusque dans l’aubier tendre de ta personne (toujours un peu en retard) ce mot que tu portes maintenant insculpé dans ta chair : je t’aime… Tu as beau ensuite te reprendre en main, rapatrier ton émoi qu’en réalité tu expatries, tu ne peux pas, tu ne peux plus, tu ne pourras jamais plus faire en sorte que mon baiser ne soit pas la chair de ta chair. Je t’aime ! Tu as beau retirer ton regard enrichi de ma bouche, le lancer en avant comme un fer de lance et ne vouloir plus voir devant toi que s’allonger ta ligne de vie, de conduite et de fuite, tu sens en toi mon amour te dorloter. Je t’aime. Et tu auras beau continuer ainsi à m’arracher des yeux l’aveu des tiens, à ôter ta virilité de ma féminité, à m’interdire l’orgie de l’émerveillement, à passer devant moi sans venir à moi après avoir été sur le point de t’arrêter enfin, mon amour, mon malheur, ma douceur, mon chéri, ma folie, écoute encore une fois cette voix qui dans ta nuit te chante sa berceuse : je t’aime ! je t’aime !… […] »
© Guy Brémond, in presque lent.