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          « Jean ne gaspille rien, et surtout pas le plomb de sa cervelle, un poids qui, vil ou pas, est le nerf de sa guerre sainte, autrement dit la balle de sa passion engagée depuis son installation dans le canon de son ambition. De ce point de vue, il gère sa vie-son œuvre en bon père de famille. Il en a l’étoffe et le coffre. Et le fait d’être désormais administrativement papa (car Denise, en cinq sec, réussit la performance de persuader son fils d’utiliser cet appellatif), ne peut que monumentaliser cette juste réputation. Jean manifeste d’ailleurs à l’égard de ce rejeton issu d’un premier pucier, un réel intérêt, voire une attention agrémentée de plaisir. Il va même jusqu’à bâtir pour cette graine de lit un projet d’avenir si riant, que la mère, en buvant ce petit lait, ferme les yeux pour voir de plus près la femme ainsi violemment flattée, caressée. Une femme qui en tant que fille n’a apparemment rien de son géniteur de paternel. Pas plus la bonhomie copain comme cochon que le physique de même gabarit. Visiblement, elle n’a été fabriquée que par sa maternelle génitrice. Ce qui, en dépit de cette marque criante de vérité (parthénogenèse revendiquée comme un nez au milieu de la figure) n’est pas tout à fait exact : la fibre paternelle a bel et bien charnellement trempé dans cette affaire de sexes. Si bien qu’on peut dire qu’en s’exhibant sans mélange, le patrimoine femelle fait de Denise la receleuse d’un patrimoine mâle bien caché. Reste qu’elle ne peut qu’afficher la maigreur, l’acharnement au boulot, la sévérité et le sens de l’économie jusqu’aux bouts de chandelle de sa vinaigre de mother (un anglais qui dans la bouche de Jean est un persiflage). En revanche, tout en n’en laissant rien transpirer, Denise ne peut se dissimuler que, sous les dehors génétiquement non modifiés de la filiation matrilinéaire, elle est littéralement possédée par une violente sensualité. Celle-là même qui chez son père est explicitement extériorisée sous la double forme de l’hilarité et du biberon de gros rouge. Chez elle, cette sensualité (irrépressible) se manifeste prioritairement, en attendant mieux, par l’activité du tâcheron. Parce que côté plumard… Certes, qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’ivresse. Seulement voilà, si Denise trouve d’emblée la liqueur du boulot forte et tout à fait au degré requis par ses sens du devoir, par contre deux nuits, nuptiale puis matrimoniale, lui démontrent que la liqueur mâle et maritale est d’un degré tellement en dessous de toutes les espérances de ses sens qu’à sa déception s’ajoute la rancœur méprisante de l’épouse bernée. Une remariée en secondes noces qui, très loin d’être forcée comme une biche aux abois, se voit condamnée à constater que pour son Jean d’époux cette jouissance conjugale-là n’est qu’une hygiène sexuelle rigoureusement bornée à un branle bref suivi d’une prompte et prudente éjaculation, d’ailleurs mesurée, voire modique. Ceci pour s’en tenir au strict indispensable. Car, que ce soit avant, pendant ou après, en ce qui concerne l’expression des sentiments amoureux (préliminaires, tendresse, pariade, etc.), c’est niet, zéro, double et triple zéro. La douche. Pas même écossaise : la froide pure et dure à rendre frigide le volcan bavant toutes ses laves. Même ses essais de poudre de riz et rouge à lèvres débouchent sur un fiasco. Néanmoins, malgré cette expérience vaginalement réduite à l’intromission d’un vermisseau et clitotalement étouffée dans l’œuf, Denise la ferme, habituée à la fermer depuis son expulsion hors de la cavité utérine d’une mère à peu près exonérée de sens érogènes. Donc elle bosse. Or par cette triste compensation, elle augmente si bien sa capacité à besogner, que quatre jours après la signature du registre d’État civil, deux jours après sa mise au harnais des travaux forcés à perpète, et un jour après le refoulement au trente-sixième sous-sol de sa sensualité nuitamment réfrigérée, elle devient tout à la fois maîtresse de maison, maîtresse de ferme (comptabilité, salle de traite puis d’engraissement, basse-cour) et maîtresse de haute-cour de justice féminine. Tout ça en silence et en un tournemain. Le Marcel y compris, qui salive mais file doux devant cette femelle sans rien comprendre à la machine infernale. Reste Jean. Qui, réflexe bien conditionné, rit devant cette multiprise de possession et file à ses affaires, ravi de la sienne : cette soi-disant faible femme est une bête de somme parfaitement domestiquée. La race domestique idéale : frugale et productive. « Ça roule ! », se félicite-t-il. Le cinquième jour de cette ère nouvelle, Jean, par abus de jouissance de cervelle, fait en inspecteur du travail obligatoire le tour du propriétaire. Dans l’ordre. Numéro un, la maison. D’emblée, qu’un mot : i-rré-pro-chable. De la cave aux combles c’est la perfection : rangement au carré, ménage nickel, cire partout, odeur d’abeille ouvrière… Numéro deux, l’aire de stabulation avec grange, silos, étable, salle de traite puis d’engraissement. Là encore, qu’un mot : im-pec-cable. C’est le règne de la discipline et de la méthode ; tout est nickel comme la maison, pas une bouse, paille blonde, couloir balayé, rations pesées au milli. Et par là-dessus, machine-outil corvéable à merci, un Marcel réglé comme un pulsateur. Ensuite, mais uniquement pour la bonne bouche, Jean va jouir de la même radieuse satisfaction au jardin et au poulailler (innovation due à Denise). Après quoi, en se frottant les mains et en sifflant l’air d’Où vas-tu Basile, il tourne bride pour aller vaquer à son entreprise d’exploitation touristique. Il va sans dire qu’à ce stade du partage des taches, Jean ignore encore l’installation des dispositifs du pouvoir féminin. Mais Jean a du flair. Et de toute façon il a sa passion (avec les retours de bâton) : un affûtoir. Enfin Jean n’ignore évidemment pas que “rien ne sert de courir, il faut partir à temps”. Reste à savoir qui dans ce couple fait le lièvre, qui la tortue, voire le dindon. »

 

© Guy Brémond, in Chronique d’un lieu-dit.




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