Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /


          « Mercredi. Il évite de justesse un gaillard mastard, les deux oreilles bouchées au baladeur sous la casquette u.s., un lascar qui tangue de sa chaloupe en passant, massif, mastiff. Trottoir. Trop noir de monde sur sa piste. Terre à terre et couverte en partie par les stores des commerces, tous ouvrés et ouvrables en putes averties, toutes vitrines maquillées pour la racole, bas de laine, actions, obligations obligent. Le gagner sa vie, le bijoux-choux-cailloux, la vente et la revente, l’aventure des devantures, dur-dur ! Le trottoir est une règle plate sur laquelle un monde moins en forme que conforme, grave ses grades et graduations fashion. Règle grave, grise. Tarte tapin et carte sans puce à l’oreille complaisante aux bouchons muqueux. Il marche au pas de la foule qui déboule, qui roule et coule, coule, coule-e… Chanson passée, Mouloudji, Simone de Beauvoir, mémoire bavarde… Tabac-presse, trop de monde, trop de foule, va-et-vient compressé, la monnaie, bielle-manivelle, le journal, l’odeur.

          S’arrête pas, il passe, dépasse, va plus loin. Plus loin où, dans un renfoncement à droite, entre un Casino minuscule et une officine à photocopies, un marchand de journaux lui vend son Canard. Il tombe quelque chose. De douteux : c’est fin, c’est poussiéreux, c’est  peut-être de la suie, du brouillard ou bien un sable du désert, un ciment de chantier, une poudre de perlimpinpin, un gaz moutarde… Après quatre minutes de marche, c’est presque de la pluie. Celle, fine, hideuse, blêchissante à terroriser poco a poco la vie, la banale chérie, la bancale adorée, la banco-t-arrête-pas-j’sens-qu’ça vient ! Mais l’intime du jour le jour, la seule à servir et à s’user le tempérament, une usure. L’abusure. Il pense à la banque, sa banque, « ma banque », carte, carnet, plan, taux, total, Elf... La façon dont les hommes gagnent, vivent, existent. Et les ordres ! Et les pires de tous : ceux qui sont susurrés par la bande, chattemite, patte pelue, blabinet l’air de rien, de ne rien dire, de ne dire que comme ça, histoire de, manière de dire, de faire faire, de faire des affaires, silence, catimini, secret professionnel, la tombe !… Froid.

          Gris. Si le jour est levé, alors il est grimé. Sale. Son bruit perpétuel, fond de sauce assourdissant dans lequel on se pelotonne, se niche, se vautre comme dans un giron, comme dans un oreiller qui sent rassurant sa propre viande, son odeur chaude, son rêve, son pouce, le meilleur de la vie par ailleurs domestiquée, installée en stabulation dans sa liberté, le nanan de sa bonne vieille vie entravée dans les couloirs de contention des règlements, des lois, des mesures, des codes, des obligations, des devoirs, des nécessités, des vicissitudes, des interdits, des affaires, des contingences, vie gavée par le bourrage des pense-bas, des pense-bêtes, des penseurs, ces tuyaux à fumée noire, blanche, âcre… Du simulacre. On n’en sort pas, plus. On reste empaqueté dans l’épaisseur cossue de cette sauce qui attache toujours au plat social, urbain, partial, colombins de chiens et colombines de chiennes…

         Il a un mouvement de tête, il hâte le pas, traverse à ses risques une avenue droite sans péril comme le canon d’un fusil dans lequel circulent à double sens et sur plusieurs files des voitures, des balles : une voirie. De l’autre côté, sur un trottoir siamois, il marche pareillement pour bientôt tourner à gauche dans une rue surchargée d’hommes et de femmes conformes au modèle international qui défile à Tokyo, Tel-Aviv, Berlin, Moscou, Athènes, Oslo, Le Cap, Melbourne, Washington : l’uniforme, la casquette, l’opinion, le pognon, la chanson, le con et la bite éthiques. Ça crie gras, organe et machine, bruit, odeur, couleur : gris miroton. Même le rouge flambant neuf des carrosseries et des lèvres, même les spots, les flashs, le blanc cru, la gouaille, le hennissement des rires qui claquent dans son dos, tout est gris, petit-gris, grisaille, grisbi, grizzli, grivèlerie, coup de grisou et grimaces médiatics de maniaques. Des pavés, ceux-ci taillés carré, gris-noir. Pas brun mordoré comme d’autres sont ailleurs ronds et doux comme des genoux de femme… Non, ceux-ci, qu’il regarde du même œil haineux chaque matin et soir, sont pareils à des casques luisants de crs mats faits pour mater ici des bagnoles, là des bougnoules, ici et là des rouspétards grognards smicards…

          La place. À partir de là, c’est comme s’il entrait dans son camp de travail obligatoire. Klaxons, phares et bref  « connard ! » glissé en peau d’banane. Ça ricane avant de caner, ça claque de la portière avant de claquer, papote avant de capoter, et ça crève les portes ouvertes avant de crever. Bla-bla, l’air connu, rengaine, fait chier patati. Il entre au bagne : feutre, silence de moquette, lumière de tamis. Avec du froid de plantes vertes à vomir, de la gueule maquillée de sourires tardifs, de la jupe pour voyeurs et jeans à dépoiler la moule ou démouler les deux encéphales du cul, beau bénitier à raie. L’œil encule, l’œil gode, masse et masturbe en se masturbant sans jamais pourtant arriver à être soulagé, satisfait : tous les jours provoqué, il se jette au panier de la ménagère offusquée qui en croise les gambettes, cadenassant sa bouche bée. De sorte qu’il reste en pantenne avec sa ceinture de chasteté à l’œil, lequel n’a plus qu’à aller se rincer la mirette sur l’écran gris-souris des computers… »

 

© Guy Brémond, in Méprise.

 

 

 

 

 

Partager cette page
Repost0

Présentation

  • : Le blog de Cicérone
  • : Biographie d'un écrivain également peintre dont la méconnaissance est une injustice
  • Contact

Profil

  • Cicérone
  • Ami de l'écrivain-peintre, je m'efforce de faire connaître son oeuvre, c'est la raison même de ce blog.
Si l'on désire obtenir certaines informations particulières, il est toujours possible de me joindre personnellement à cette adresse : artcu
  • Ami de l'écrivain-peintre, je m'efforce de faire connaître son oeuvre, c'est la raison même de ce blog. Si l'on désire obtenir certaines informations particulières, il est toujours possible de me joindre personnellement à cette adresse : artcu

Texte Libre

Voici une adresse pour celles et ceux qui désireraient éventuellement obtenir certaines informations particulières, si toutefois je suis en mesure de les fournir : artcultur@ifrance.com

Recherche

Autres textes.

Archives

Portrait

 

 

 

 

 

 
 

Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de montrer le visage de l’homme auquel ce blog est consacré. L’esprit ayant besoin d’un support physique, grâce à l’intimité duquel il sait parfaire sa connaissance. La photo ci-contre date des années 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories