Simplicité
« Non pas l’heure ou l’air, mais l’ambre, la chair, la déchirure. Et là le fruit ouvert, la bouche mûre jusqu’à l’odeur douce-amère d’une grenade rose au regard ruisselant de soleil levant.
(Quand, dans octobre et ses pénombres fruitées, rougit et comble l’insatiété le bronze du silence ; quand le sang d’août vient sourire et se taire en levant son vin jusqu’aux lèvres ; quand le visage du passé soulève sa grappe, ses feux, ses chants venus des collines égorgées ; quand se répand, rutilant dans l’ombre des cheveux blonds un peu, l’incandescente retenue d’une braise juteuse ; quand, sans autre faim ni soif que voir encore l’étang étale et doux brûler l’ombre et gémir ; quand du charnu de la mémoire naît ce soir ton amour… Alors je bois, je prends, je mange ! Je ris et geins, je saigne ! Je suis le fruit ouvert, la chair et la déchirure, je suis l’ambre et la bouche mûre. Je prends ta braise ruisselante, je baise ta grenade rose du soleil levant ce soir sa vie vers moi. Je bois ton lait bleu, je mange ton sang d’août, je me comble de ton regard de myrte qui vient tremper ses lèvres dans mon vin triste…)
Non pas l’heure ni l’air, mais là, silencieuse et pourpre, à table ce soir, l’anxieuse volupté, la femme entière et ton baiser. »
Guy Brémond, dans “presque lent”