Le soir est très vert ; il prend toute la place. La terre est
grise, à bout touchant. Un pré s’étend, étang vert-de-gris, enfant du soir sur la terre. Il fait frais, il fait triste, il fait beau et bon. Les arbres sont des silences lumineux enracinés dans
la paix. On les écoute ; leur voix, qui vient de loin, nous touche de si près qu’on tend la main pour toucher leur figure : c’est la figure de proue de la nuit qui ne vient qu’en
chemise de nuit blanche. Aquarelle.
Entre chien et loup. L’air est lourd comme la terre pleine d’ombres. Tout est tellement immobile que le temps n’ose plus couler.
On entendrait tomber un grain de sable. Les arbres dorment debout comme les chevaux de trait remis au pré. Leurs silhouettes massives fait un alliage de bronze avec la forêt sur laquelle elles
s’appuient. Il n’y a pas de lune, pas d’étoiles, il n’y a rien que l’odeur légère de l’herbe à l’instant foulée. Lavis.
C’est un pommier courbé par un ciel d’étain mat. Sous les branches et les feuilles l’herbe grise est jaune comme la corde vocale d’un violon souriant au crépuscule. Il n’y a pas d’ombre ; toute la vie est là. Elle ne fait pas même un signe de tête. Elle est ténue, grise et jaune comme l’herbe sourit. C’est la nôtre, mais calme. Sépia.
Trois “vues imprenables” de vingt-quatre centimètres sur seize. Avec elles, on peut voyager loin et longtemps, sans arrêt, tour du monde après l’autre sans jamais rencontrer une âme morte. On reste trop près des roses familières, des non-dits indispensables, des pensées fanées et des choses chéries pour s’imaginer croire sur parole l’espèce de fagot d’épines qu’on est neuf fois sur dix pour soi et pour les autres, et qui prend ses raisonnements pour argent comptant, raison d’être fier, etc. Là, dans ces trois fois vingt-quatre centimètres sur seize, l’âme est vive, on peut la prendre pour femme.
Pour écrire cette aquarelle, ce lavis et cette sépia, j’ai utilisé plusieurs textes de Guy Brémond, de sorte que l’on peut faire fond sur ces trois rédactions ; elles sont en outre assez suggestives pour vivre un peu de la vie du peintre, prise sur nature.
Un poème de PO Kiu-yi (772-846), exprime tout à fait la pensée et la vie de Guy Brémond :
L’air est lent : tantôt j’affleure, tantôt j’appuie.
Quelques sons se perdent dans la profondeur de la nuit.
Pour l’oreille, cette musique manque de saveur ;
Mais, discrètement, elle émeut le cœur.
À mon gré je joue, à mon gré je m’arrête ;
Et je ne tiens pas que l’on m’écoute.
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